Thomas Krähenmann est un expert chevronné dans les domaines de la gestion qualité et de la normalisation. En qualité de président du comité de normalisation suisse INB/NK et membre de plusieurs groupes de travail, sa contribution au développement et à la mise en œuvre de normes internationales a été significative.
Histoire SNV #8 : La qualité, c’est...
L’ISO 9001 est considérée comme la grande dame parmi les systèmes de gestion. C’est de loin la norme la plus connue au monde. La mise à jour et les ajustements réguliers aux nouvelles spécificités du marché sont des éléments cruciaux pour la survie du système. En 2020, un vote devait permettre de décider si et comment l’ISO 9001:2015 devait être modifiée. Lors du vote sur la révision, quelque chose d’inattendu s’est produit : le choix de la révision n’a pas fait l’unanimité. Dans une entrevue avec Thomas Krähenmann, le président du comité miroir suisse « INB/NK 140 Gestion et assurance qualité », nous discutons des coulisses, de la suite du processus et de l’importance constante de la qualité.

SNV : Souvenez-vous de votre première rencontre avec l’ISO 9001 ?
Thomas Krähenmann : Oh, absolument ! C’était lors de mon premier job après mes études, auprès d’un sous-traitant des anciennes PTT (aujourd’hui Swisscom). Je travaillais dans le monde à l’époque exotique de l’assurance qualité logicielle. C’était une période de bouleversements. Des « révolutionnaires » comme Bill Gates ou Steve Jobs faisaient leur apparition.
SNV : À la fin des années 90, l’ISO connut un essor prodigieux. C’était comme si chaque entreprise voulait se faire certifier. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Thomas Krähenmann : L’ISO 9001:2015
reste la norme la plus répandue au monde. Plus d’un million d’entreprises sont certifiées. Deux motifs expliquent pourquoi ce système de gestion est toujours largement apprécié et qu’il est même un élément essentiel de survie pour beaucoup d’entreprises. D’une part, l’accès à de nombreuses chaînes de livraison internationales reste fermé à une entreprise sans certificat. D’autre part, alors que le thème de la qualité est souvent sous-évalué par bien des entreprises, des incidents comme les crashs de 2018 et 2019 des avions Boeing 737 MAX 8 montrent clairement à quel point un système de gestion de la qualité appliqué dans les règles de l’art est central. Dans le cas de Boeing, l’hypothèse la plus largement acceptée suppose que des défauts de qualité, des manquements aux directives, la réduction de personnel dans le secteur de la qualité et la décision explicite de réduire les systèmes de sécurité ont conduit à la catastrophe. Dans le monde entier, de tels événements sensibilisent les cadres dirigeants conscients de leurs responsabilités. La qualité est l’une des caractéristiques les plus importantes d’un produit, que ce soit pour un petit jouet en plastique ou pour un Jumbo jet. L’ISO 9001:2015 à elle seule ne peut pas empêcher les accidents, mais elle réduit considérablement les risques et, surtout, garantit qu’une erreur ne sera pas commise deux fois. Avec un système de qualité responsable, une entreprise s’assure que la satisfaction de la clientèle reste élevée. Il s’agit de livrer ce qu’on promet.
La qualité a un nom : ISO 9001
Nombre de pays où des entreprises sont certifiées : 189
Top des trois pays avec le plus grand nombre de certificats : Chine, Italie, Japon
Nombre d’entreprises certifiées dans le monde : 1 077 884
Nombre de secteurs d’activité certifiés : plus de 40
Secteur avec le plus grand nombre de certificats : le secteur 17 « Métaux de base et produits du travail des métaux »
Nombre d’entreprises certifiées en Suisse : 8676
Source : ISO, L’Étude ISO 2021
SNV : La version actuelle de l’ISO 9001 a huit ans. À quand sa révision ?
Thomas Krähenmann : Les chiffres qui suivent l’intitulé de la norme livrent des informations sur la version et la révision. Dans notre cas, « ISO 9001 » est suivi de « :2015 », parce que la dernière révision a été publiée en 2015. Les prescriptions ISO prévoient que le contenu et l’actualité d’une norme soient vérifiés au moins tous les cinq ans. Une révision était donc prévue en 2020. Ce travail d’ajustement systématique a été soumis au vote des pays membres. Actuellement, plus de 150 pays sont inscrits comme pays membres pour l’ensemble du travail de normalisation ISO. Pour l’ISO 9001, environ 80 pays sont activement impliqués. Les demandes de révision systématique sont généralement acceptées avec pratiquement cent pour cent des voix. On suppose toujours que, la préparation étant soigneuse, la révision proposée est judicieuse. Mais tel ne fut pas le cas pour ce vote. 36 pays ont voté pour le maintien de la norme telle quelle, 32 ont estimé qu’un travail de révision était urgent et 10 pays, dont la Suisse, se sont abstenus. Bref, les expertes et experts ne sont pas tombés d’accord sur la nécessité d’une révision. L’ISO a mené une enquête sur ce vote historique auprès des pays membres pour comprendre les raisons de ce résultat. À côté de quelques voix critiques que cette procédure irritait, quelques 400 commentaires constructifs argumentant en faveur d’une révision ont été soumis. La direction a donc décidé, malgré le résultat du vote, d’examiner l’éventualité d’une révision avant la prochaine date régulière, à savoir 2025. Cet été, nous avons donc voté sur la révision anticipée portée par la « Spécification de conception pour la révision éventuelle de l’ISO9001 ». Le résultat très attendu a penché en faveur d’une révision avant terme. Le groupe de travail peut donc maintenant être constitué et un appel à de nouveaux commentaires sur la spécification de conception être lancé. Si nous progressons toujours aussi bien, rien ne devrait s’opposer à la publication de la révision ISO 9001:2025.
Une majorité simple pour la révision avant terme
Voix pour : 36
Voix contre : 25
Abstentions : 17
Source : ISO, publié le 31.7.2023
SNV : Quelles modifications ont été intégrées dans le travail d’ébauche ?
Thomas Krähenmann : Pour notre révision, nous nous sommes concentrés sur quatre piliers fondamentaux. Premièrement, nous avons pris en compte les commentaires mentionnés, aussi bien les petites corrections de langue que les modifications plus importantes. Deuxièmement, l’ISO prévoit que l’on respecte les objectifs de développement durable des Nations Unies. Troisièmement, nous nous sommes penchés sur la redéfinition du concept de risque, qui est traité parallèlement dans le comité pour la gestion du risque «ISO/TC 262 Management du risque».
Enfin, la task force spécifique de l’ISO a abordé les tendances montantes en matière de gestion de la qualité en couvrant une vingtaine de sujets.
SNV : De quelles tendances en matière de gestion de la qualité s’agit-il ?
Thomas Krähenmann : C’est une très vaste palette qui va des thèmes de l’expérience clientèle à la culture d’entreprise, à l’éthique ou à l’intégrité, en passant par les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle, l’économie circulaire, l’industrie 4.0 ou la sécurité de l’information, pour n’en citer que quelques-uns.
SNV : La culture d’entreprise est un thème très intéressant. Comment peut-on aboutir à un dénominateur commun entre le Nord et le Sud ou l’Ouest et l’Est concernant la culture d’entreprise? N’est-ce pas tout simplement impossible ?
Thomas Krähenmann : Il y a environ quatre ans, un groupe de travail ISO débutait l’entreprise de normalisation sur le « Management de la qualité – Recommandations pour comprendre, évaluer et améliorer la culture de la qualité organisationnelle ».
Cette initiative avait été lancée par la Chine, ce qui peut surprendre à première vue. Mais les entreprises chinoises constataient depuis quelques années que les retours de l’Occident sur la qualité de leur marchandise livrée étaient souvent négatifs. Une offensive sur la qualité avait ainsi été initiée. Celle-ci prévoyait des sanctions en cas de violation des standards de qualité. Tout le chapitre 7.4 de leur norme était dédié au thème des sanctions. Mais rien ne se passa. La Chine s’est donc adressée à l’ISO pour qu’elle l’aide. L’ISO trouva de bonnes propositions dans le document papier qui lui avait été soumis, et forma une équipe internationale sous direction anglaise. On partit du document chinois pour comprendre et définir ensemble dans quelle mesure la culture de la qualité doit être partie intégrante de la culture d’entreprise. Il s’agissait de tracer une frontière pragmatique entre les aspects qui doivent être valables à l’échelle globale et ceux qui doivent s’adapter aux spécificités locales. La culture de l’erreur constituait un sujet important. Ce n’est que lorsque l’on n’a plus peur de parler des erreurs que l’on peut identifier des améliorations dans la création de la valeur et les mettre en œuvre. La peur de « perdre la face », souvent évoquée, joue en Asie un rôle beaucoup plus important que chez nous. Toutefois, nous avons bel et bien réussi en 2022 à définir un cadre applicable dans tous les pays. C’est pour moi un exemple frappant qui prouve une fois de plus que le travail de normalisation ISO n’est pas dicté du haut, mais qu’il avance grâce aux utilisatrices et utilisateurs finaux.
SNV : Dans quelle mesure les résultats de cette norme sont intégrés dans l’ISO 9001 ?
Thomas Krähenmann : Tous les sujets relatifs à la qualité sont réunis pour être traités dans le comité technique « ISO/TC 176 Management et assurance de la qualité ».
Vingt-trois standards ont été publiés sous son égide. On attend des expertes et des experts travaillant à l’ISO 9001 qu’ils connaissent les vingt-deux autres normes même si des personnes de liaison entre les différents groupes de travail assurent l’harmonisation des normes entre elles.
SNV : Pourquoi, de votre point de vue, une entreprise a-t-elle intérêt à ce que ses spécialistes aussi travaillent dans les comités ?
Thomas Krähenmann : Ce qui est particulièrement agréable dans le travail de l’ISO, c’est qu’il se fait sur la base du volontariat. Nous travaillons donc avec des femmes et des hommes qui assument cette tâche par conviction et qui disposent d’un grand savoir spécialisé. Les normes internationales apportent en effet une plus-value à l’humanité. Prenons l’exemple du comité « Économie du partage », où je suis également impliqué. Ces plateformes de location émergentes fonctionnent avec trois acteurs : une personne offrante, une personne consommatrice et un partenaire qui met à disposition la plateforme technique. Le comité « ISO/TC 324 Économie du partage »
a été créé en 2019 et trois normes ont déjà été publiées sur ce thème. Avant, il n’existait aucune norme ISO soutenant ces marchés innovants. Il est intéressant de noter que, une fois encore, l’élan pour de nouvelles normes vient de l’Asie. Le Japon surtout cherche des représentantes et des représentants européens pour collaborer avec eux. Actuellement, nous recherchons des expertes et des experts en Suisse. Notre but est de partager un savoir-faire sur des projets de recherche universitaires ou des acteurs du marché comme Mobility ou Sharely. Pour ces entreprises, la collaboration pourrait assurer un accès à un réseau international, la proximité à des hautes écoles et donc au travail de recherche sur les nouvelles mégatendances.
SNV : Comment ont été vos débuts dans le travail de la normalisation ?
Thomas Krähenmann : L’un de mes supérieurs à l’époque était le président de la SNV. Il a nourri mon intérêt pour le travail de qualité et j’ai ainsi rapidement assumé la fonction de mon prédécesseur. Grâce à mon travail à l’ISO, j’ai pu voir qu’elle était l’organisation à la source des normes. Cela me fascine encore aujourd’hui. L’échange au-delà des frontières me motive, que ces frontières soient géographiques, générationnelles, professionnelles ou culturelles.
SNV : À côté du travail de normalisation, vous êtes aussi auditeur ISO et assistez ainsi à la naissance des normes et à l’évaluation de leur praticabilité. Selon vous, quel est l’avantage le plus grand de l’ISO 9001 pour les entreprises ?
Thomas Krähenmann : Indépendamment de la branche ou de la taille de l’entreprise, je considère qu’une gestion qualité éprouvée représente un avantage décisif vis-à-vis de la concurrence. La crédibilité du travail de qualité, en interne tout comme en externe, commence au niveau de la direction. Le certificat ISO n’est pas un but en soi, mais résulte d’une démarche qualité continue. L’ISO 9001 n’est pas complexe en soi. Développer des produits ou garder la satisfaction clientèle à un niveau élevé est beaucoup plus difficile que de maintenir une gestion de la qualité. Ce qui est décisif, c’est que la direction mette suffisamment de ressources à disposition et crée des conditions-cadres optimales. La qualité est un investissement qui, à mon avis, en vaut toujours largement la peine sur le long terme. La qualité, c’est que la cliente ou le client revienne, pas le produit !
Thomas Krähenmann
Thomas Krähenmann, ing. dipl. EPF, est un expert chevronné dans les domaines de la gestion qualité et de la normalisation. En qualité de président du comité de normalisation suisse INB/NK 140 et membre de plusieurs groupes de travail, sa contribution au développement et à la mise en œuvre de normes internationales a été significative. Il dispose de connaissances techniques fondées et d’une large expertise grâce à sa longue expérience professionnelle dans des entreprises de renom comme V-ZUG, Siemens ou Honeywell. Thomas Krähenmann dirige avec succès sa propre entreprise de conseil CRETHO CONSULTING et travaille comme auditeur indépendant pour SQS.
